Nouvelles révélations sur la foudre
Nos lecteurs trouveront, je l’espère, un vif intérêt à la curieuse communication qu’un de nos plus anciens, affirme-t-il, lecteurs veut bien nous adresser :
« Mon cher maître,
Dans un long article que M. Camille Flammarion[18] publiait récemment au sein du journal Le Temps, on pouvait lire, non sans stupeur, l’interminable et saugrenue série des méfaits de toute sorte auxquels se livre la Foudre.
Méfaits et aussi certaines gamineries qui surprennent étrangement de la part d’une institution chez laquelle on attendrait plus de sérieux, vu son grand âge. (L’origine de la Foudre se perd, c’est le cas de le dire, dans la nuit des temps.)
La Foudre, d’après le dire du docte astronome, s’amuse à déshabiller le monde, les dames notamment, sans leur faire éprouver la moindre douleur ; elle s’ingénie à disperser au loin certains objets, prenant un malin plaisir à faire fondre au cou et aux oreilles de leurs propriétaires les colliers ou les boucles.
M. Flammarion ne va pas jusqu’à affirmer que les victimes de cette déplorable fumisterie en ressentent une appréciable sensation de fraîcheur.
Je vois d’ici le sourire de l’incrédulité s’épanouir sur vos lèvres désabusées.
Eh bien, monsieur et cher maître, vous avez tort, et tout ce que vous raconte M. Flammarion n’est rien auprès de deux électro-aventures dont je fus le héros et que je vous demande la permission de vous narrer ici.
... Je me promenais le long des fortifications par un temps d’orage... tonnerre... éclairs... Quel temps, bon Dieu ! et fallait-il que je fusse en proie à une folle luxure pour attendre une bonne amie par de tels météores !
Soudain, choc sur la tête, choc terrible qui me précipita, sans connaissance à terre !
Quand je revins à moi, je pus me livrer aux constatations suivantes qui laissent bien loin derrière elles les remarques de M. Flammarion sur le même sujet :
Mon porte-monnaie gisait à mes côtés, dénué de son contenu, sans doute volatilisé : l’armature métallique dudit porte-monnaie n’avait, chose étrange, rien éprouvé d’anormal.
Un peu plus loin, mon porfeuille vagabondait sur l’herbe, veuf d’un billet de cent francs qui en était précédemment l’hôte, et de trois timbres-poste neufs de quinze centimes.
Les autres papiers avaient été respectés en grande partie ; respectés également quelques timbres oblitérés que je retrouvai collés à leur enveloppe.
Disparue, ma montre en or !
À l’état de souvenir, mes boutons de manchette !
Ma canne à pomme d’argent, un superbe foulard de soie, introuvables !
Et puis – bizarre phénomène, sans doute, d’osmose –, mon mouchoir, que je m’obstine à tenir dans la poche droite de mon veston, passé dans la poche gauche !
Tous ces faits, cher et vénéré maître, semblent dépasser les limites de la créance. J’en atteste pourtant la rigoureuse et scientifique exactitude, et je poursuis :
La foudre avait éparpillé plusieurs de ces objets manquants dans une zone relativement étendue, car ma carte d’électeur (un des rares papiers choisis par le fluide) fut retrouvée dans la poche d’un rôdeur de Saint-Ouen, ma montre à l’étalage d’un brocanteur de la rue de Vaugirard, mon foulard dans la chambre d’une horizontale du quartier de la Goutte-d’Or, et mes boutons de manchette au devant de chemise de Charlot, la distinguée Terreur des Gobelins.
Pour le reste, en dépit d’annonces insérées un peu partout, je n’en entendis jamais parler.
J’ai cru cependant reconnaître, sur une lettre venant de Lons-le-Saunier, un de mes timbres enlevés par la Foudre.
Mal oblitéré une première fois, j’avais, suivant le processus indiqué par votre vieux Mougeot, fait disparaître à l’eau bouillante l’humble tare de ce coup de tampon distrait.
Ma deuxième aventure – car je vous ai promis deux aventures – n’est pas moins curieuse.
Rentrant chez moi à l’improviste, à la minute même d’un coup de tonnerre d’une rare violence, je trouvai ma jeune épouse complètement déshabillée par la violence du choc.
Il en était de même d’un de nos voisins venu pour lui rendre visite.
L’énergie électrique les avait précipités pêle-mêle sur le lit.
Je livre, éminent chroniqueur, ces faits à vos méditations, tout en vous priant respectueusement de vouloir bien agréer, etc., etc.
Lieutenant-colonel Buxo
Post-scriptum. – J’ai lu aussi, dans Pline le Jeune, qu’un étrange phénomène s’était produit, par un temps d’orage, au moment où deux Romains, un vir et une mulier, allaient accomplir une union bénie le jour même. La Foudre en tombant sur eux aurait interverti leurs sexes.
J’avoue n’ajouter aucune foi à l’histoire de Pline : la confusion des sexes n’a dû être que momentanée.
Peut-être aussi, un simple changement de position fréquent aux époques de décadence a-t-il pu faire illusion au voyeur naïf que fut souvent Pline, surnommé à juste titre le Jeune.
L.-C. B.
Post-scriptum n° 2. – À vraiment parler, je signe lieutenant-colonel, mais je ne possède pas ce grade. Avec dix ans de plus, quelques campagnes ou actions d’éclat, je le pourrais être. Que n’ai-je, hélas ! suivi la carrière des armes !
L.-C. B.
Il y a tout de même des gens qui en ont, de la santé !